On ne se contente pas de regarder un film ou une série, on en parle passionnément, on débat tendrement, on s'écharpe élégamment...
en somme, c'est simple : on crève l'écran.
Tartine : J'ai vu deux jolis films la semaine dernière. Des films sur le rêve, sur les histoires qu'on s'invente pour enjoliver la réalité.
Jeannine : Je reviens justement de mon cours de qi gong !
T. : ... Quel rapport ?
J. : Ah, ben aucun mais je vais aller prendre une douche.
T. : Donc tu n'as pas le temps.
J. : Si, si, ça me donnera des idées pour ce week-end !
T. : Le premier, c'est Saving Mr Banks (Dans l'ombre de Mary in french) de John Lee Hancock, avec les vétérans Emma Thompson et Tom Hanks. Le second c'est La Vie rêvée de Walter Mitty de et avec Ben Stiller.
J. : Ah oui ! Mais ça ne parle pas de sport !
T. : Mais je n'ai jamais dit que ça parlait de sport.
J. : T'es sûre ?
T. : Affirmative. Saving Mr Banks raconte les déboires de Walt Disney au début des années 60 pour convaincre la romancière Pamela Travers de lui céder les droits d'adaptation de Mary Poppins, celui de ses romans auquel elle est le plus mystérieusement attachée. La Vie de Walter Mitty conte l'histoire d'un homme ordinaire, coincé dans son quotidien et dont les rêves sont les seuls moments d'évasion. Jusqu'au jour où il trouve le courage de passer à l'action dans le monde réel.
J. : Il devient manager d'une équipe ?
T. : Pas du tout. Ce sont deux beaux films, qui on des attaches communes : on a deux célibataires très enfermés dans leur solitude. Elle vit dans ses souvenirs depuis des années, impuissante à surmonter le drame qu'elle a vécu dans son enfance. Il est dans l'incapacité de se sortir de ses "bulles d'absence". Elle va revivre cette réalité douloureusement enfouie et lui va se retrouver plongé dans le monde réel pour la première fois.
Saving Mr Banks est, certes, conventionnel dans sa mise en scène, et il s'égare un peu dans les flash back, mais il est aussi savoureux, juste et émouvant. Et on y retrouve une Emma Thompson magistrale, accompagnée d'un Tom Hanks délectable et roublard. On passe un très joli moment de cinéma.Quant à La Vie rêvée de Walter Mitty, c'est le plus beau film de Ben Stiller, décidément aussi doué pour le jeu que pour la mise en scène. C'est mélancolique, inventif et très touchant. On dirait du Capra. Ça fait du bien.
Sol : Aujourd'hui, je vais vous parler de deux films : Election
(Johnnie To) et Une Autre femme (Woody Allen). Quel rapport entre les deux ?
Aucun. Enfin si, si l’on veut : la beauté.
Oncle Erneste :On peut passer
directement au film de baston ?
S. Ah très bien tonton, tu connais donc le film de Johnnie
To, réalisateur hong-kongais.
O.E. : J’aime bien les bridés qui se foutent sur la
gueule, ils le font plutôt bien.
S. Bon tonton, tu vas trop loin cette fois, avec ce type de remarques, je vais
me faire licencier.
O.E. : Ben quoi ?
S. Bref. Précisons d’emblée que je ne connais absolument
pas le cinéma de Hong-Kong, réputé notamment pour ses films d’action de grande
qualité (mais pas que). Election ne fait pas exception à
la règle. Johnnie To est un réalisateur virtuose, qui filme avec maestria une
triade qui va se trouver confrontée à un épisode de leur vie démocratique
plutôt difficile à gérer.
Comme tous les deux
ans, la Wo Shing, très ancienne triade, doit élire un nouveau président. Une
guerre sanglante oppose les prétendants, tous les coups sont permis, y compris
la remise en cause des règles immuables du combat.
Le rythme est haletant, les corps sont constamment en mouvement dans un ballet
mafieux plein de rebondissements.Les scènes
de violence, finalement assez rares, sont de traitées de manière
surprenante : esthétisées parfois,lors de combats à la chorégraphie parfaitement maîtrisée, et crues
lorsque le ton se veut plus grave, sans musique de fond.
O.E. : Et quand il lui éclate la pierre sur la tête,
t’as oublié de le dire, c’est du grand art !
O.E. : Le gros il m’a fait penser à Luigi, dans le
genre « je gère tout tranquilou mine de rien ».
S. Effectivement, on pense d’ailleurs forcément à la
mafia italo-américaine filmée par Scorsese, avec son code de l’honneur, son
histoire et ses règles strictes qui vont finalement être transgressées.
O.E. : Je préfère quand même les pâtes de Gina aux
nouilles bouillies des…
S. Hop hop hop. Tu mélanges un peu tout tonton. Néanmoins,
les pâtes de Tata Gina sont les meilleures au monde. Passons maintenant au film
de Woody Allen, « Une autre femme », sorti au cinéma en 1988.
O.E. : Je vais piquer un somme.
S. : Le synopsis : « Parce qu'elle surprend par hasard les confidences dramatiques
d'une jeune femme, Hope, avec son psychiatre, Marion, intellectuelle de
cinquante ans, à la vie réglée comme papier à musique, va tout remettre en
question. Elle va s'interroger sur elle-même et démêler ses souvenirs
embrouillés pour découvrir en elle-même une autre femme qui la stupéfie. »
J’ai découvert ce film de Woody Allen, un peu par hasard,
avec un grand plaisir. Je voulais choisir une comédie légère et jazzy pour
occuper mon esprit lors d’un long voyage en train… quelle n’a pas été ma
surprise devant cette œuvre grave, mélancolique voire dépressive !
La beauté de cette femme dure, dont l’armure se fend
soudainement, est saisissante. La mise en scène transcende une introspection
douloureuse, où cette femme de 50 ans s’interroge sur sa personne et son
parcours au point de remettre en question chaque étape décisive de sa vie. La
photographie est très Bergmanienne et l’usage qui est fait de la musique
classique accentue ce sentiment d’hommage au réalisateur suédois.
Je vous incite à voir ou revoir ce film au casting prestigieux, qui regorge de
trouvailles visuelles, et qui montre à quel point la grâce pouvait habiter ce
réalisateur à ce moment de sa carrière.
Tartine : Bon, aujourd'hui je veux te parler de trois films récemment primés à la cérémonie des Academy Awards...
Jeannine : Des quoi ?
T : Des Oscars si tu préfères.
J : Ah oui, oh tu sais les cérémonies, moi je regarde juste pour apercevoir George ou Brad...
T : Ben justement, George est dans l'un des films Et Brad dans un autre...
J : Ah bon ? Celui avec les morts vivants ???
T : Non, celui avec des esclaves...
J : Beuh... Les films sur l'esclavage, moi...
T : Bon alors peut être que tu préfèreras un film dans l'espace ? Ou un film avec un cowboy ?
J : Esclavage, espace, cowboy, ça m'a pas l'air bien français tout ça.
T : C'est clair que je ne sais pas si le cinéma français a jamais essayé de s'attaquer au sujet de l'esclavage... Quant à l'espace, n'en parlons pas. Les cowboys ?... Non, et puis de toutes façons, je t'ai dis que c'était les O-S-C-A-R-S, pas les Césars...
J : N'empêche que ce sont tous les deux des prénoms.
T : Oui, Jeannine... Je peux commencer ?
J : Mais bien sûr
T : Bon, alors je voulais parler des trois films qui ont le plus brillé à la dernière cérémonie des Oscars ce dimanche : Gravity d'Alfonso Cuaron, 12 Years a slave de Steve McQueen et Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée.
J : Ok, je n'en ai vu aucun des trois
T : Merci Jeannine.
J : De rien.
T :... Bon alors pour commencer, Gravity, réalisé par Alfonso Cuaron -à qui on doit le seul bon épisode de la série des Harry Potter (je veux bien sûr parler du Prisonnier d'Azkaban), les magnifiques Fils de l'homme ou la superbe Petite Princesse. Le film a remporté 7 statuettes (réalisateur, musique, photographie, montage, montage sonore, mixage sonore et effets spéciaux). C'est le grand gagnant de la cérémonie, même si la statuette ultime (meilleur film) est allée à 12 Years a slave...
J : Et alors, que vaut le film ?
T : C'est un huis clos étouffant et magnifique (dans l'espace, Ryan Stone, une brillante experte en ingénierie médicale et Matt Kowalski, un astronaute chevronné, se retrouvent seuls et livrés à eux mêmes quand leur navette est pulvérisée...). Une ode à la vie, à la fois spectaculaire et intimiste. L'infiniment petit dans l'infiniment grand. Le film, très court (1h30) est aussi très impressionnant. Cuaron, qui a peaufiné son film, a tout maîtrisé de bout en bout (du scénario aux effets spéciaux). Il signe un chef d’œuvre plastique et une expérience de cinéma parmi les plus intenses qu'il m’ait été donné de voir. C'est aussi un très beau rôle pour Sandra Bullock. Certainement LE rôle de sa vie. Elle joue seule la plupart des scènes. Elle est l'âme de Gravity...
Sandra Bullock, Gravity
J : Ok, mais il y a aussi George, non ?
T : Oui, il y a George aussi... A ce propos, ça me fait penser à Brad : j'enchaîne avec la suite. 12 Years a slave de Steve McQueen (Hunger, Shame) avec Chiwetel Ejiofor (Dirty Pretty Things, Tsunami the aftermath, Love actually...), Michael Fassbender (acteur fétiche de McQueen déjà dans Hunger et Shame), Brad Pitt donc, Paul Giamatti, Benedict Cumberbatch (Sherlock) et la nouvelle et belle venue Lupita Nyong'o...
12 Years a slave raconte, quelques années avant la guerre de Sécession, la lente agonie d'un jeune père de famille noir, Solomon Northup, kidnappé et vendu comme esclave. Le film est adapté du récit autobiographique de Solomon et dit l'horreur de la condition d'esclave comme -je pense- on l'a rarement vue au cinéma. Bien sûr que tout le monde a vu des récits d'esclavage au cinéma, mais là, c'est de l'intérieur qu'on le vit, en totale empathie avec Solomon. C'est la gorge serrée qu'on suit son calvaire, celui des autres esclaves, celui de Patsy... C'est une oeuvre admirable et profondément humaniste. McQueen s'empare du sujet et, sans académisme, signe un réquisitoire qui bouleverse le spectateur. Les comédiens sont tous admirables : Michael Fassbender bien sûr mais aussi Chiwetel Ejiofor dans le rôle de Solomon. L'acteur trouve enfin là le vrai premier rôle qu'il attendait. Quant à Lupita Nyong'o qui interprète Patsy, c'est LA révélation du film.
J : J'ai peur que ce soit trop violent pour moi quand même...
T : Je t'accorde qu'il y a 2 scènes assez difficiles. Mais à mon avis importantes à montrer. Elles servent le propos du film... Ah oui, et puis la musique est superbe. Et le film a remporté 3 Oscars (film, actrice dans un second rôle et meilleure adaptation).
Lupita Nyong'o et Michael Fassbender, 12 years a slave
J : A propos de trois, tu n'avais pas parlé de trois films ?
T : Si, le dernier c'est Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée, le réalisateur de C.R.A.Z.Y et de Café de Flore. Avec Matthew McConaughey, Jennifer Garner et Jared Leto. Le film a remporté 2 Oscars : ceux des meilleurs comédiens dans un premier rôle et dans un second. Le film est tiré de l'histoire de Ron Woodroof, un cow-boy, un vrai. Sa vie : femmes, drogue et rodéo... Quand après un malaise, on lui annonce qu'il a contracté la maladie des homos (on est en 1986), Ron ne peut d'abord le croire. Puis, devant l'impuissance du corps médical, il se lance à corps perdu dans la recherche de médicaments alternatifs non officiels et crée le Dallas Buyers Club, qui vient en aide à d'autres malades...
J : Waouh, ça m'a pas l'air rigolo tout ça...
T : Alors déjà, ce sont deux performances éblouissantes : Matthew McConaughey et Jared Leto n'ont pas volé leurs statuettes. Ensuite, ce n'est pas du tout une œuvre sombre. Elle est optimiste au contraire. Et le film s'autorise des pointes d'humour et de légèreté (surtout dans la relation Ron-Rayon). L'énergie et la course en avant de Ron dans DBC, son combat pour la vie va le porter et faire de lui un être complètement neuf, tolérant, qui va s'ouvrir aux autres... Le film de Jean-Marc Vallée est gorgé d'espoir. En fait, les trois films dont j'ai parlé dans ce post sont gorgés d'espoir. Ryan dans Gravity, Solomon dans 12 Years a slave, Ron dans Dallas Buyers Club, ce sont trois destinées qui luttent pour leur vie et ne perdent pas espoir...